

MADAGASCAR, RECYCLAGE, ETHIQUE ET BUSINESS
Interview de Jean-Charles Joseph, créateur et fabriquant
C’était il y a 20 ans et j’en avais 24. J’avais construit un vélo magique dont la roue tournait dans le sens inverse du guidon. Simple mais très casse gueule… Nathalie et moi, on s’installait sur les places publiques et on prenait les paries. Qui arrivait à faire trois mètres sur notre vélo sans mettre le pied par terre gagnait un teeshirt, sinon c’était 10 francs pour nous. Le projet était de financer un tour du monde avec Nathalie. Nous sommes partis du sud de la France jusqu’à Paris et, grâce à l’argent des paries, nous avons pu acheter assez facilement deux billets pour la Réunion. De là, avons pris le bateau pour Madagascar. Mais à cette étape, il y eu un petit souci… 10 francs, à l’époque, était une
somme trop importante pour que les Malgaches la risque à notre jeu. Faute de gagner assez argent, nous n’avons jamais pu continuer notre tour du monde. En réduisant à quelques centimes le montant des paries, nous avons tout de même pu rester quelques mois, le temps de mieux découvrir cette grande île.

J’aime l’Afrique je me sens bien là bas… Le recyclage, c’est presque un mode de vie dans ce continent. Les Africains ne sont pas dans le « tout consommer puis jeter ». A Madagascar si t’as plié l’aile de ta voiture, tu ne vas pas en racheter une chez le concessionnaire : tu prends un bidon, un marteau puis tu t’en fabriques une. C’est ce savoir faire, cet art de la bidouille, qui permet à nos artisans de transformer de la tôle froissée en des pour boutiques.


Depuis que je suis tout petit, j’ai toujours aimé la récup’. J’apprécie réparer les objets au lieu de les jeter. Une canette, je la trouve trop belle pour la balancer à la poubelle ! Une de mes premières créations, lorsque j’étais ado, était d’ailleurs une cannette que j’avais transformé en tirelire. Malheureusement, il y a 25 ans, les objets recyclés n’étaient pas en vogue comme maintenant et nous ne pouvions pas vivre de mes créations. Lorsque les gens sont devenus plus sensibles à ce type de démarche, nous avons créé Nat Mad en recyclant des sacs de courrier « la poste ». Depuis lors, je peux faire ce que j’aime : ne pas jeter, transformer.


On pourrait peut-être fabriquer moins cher si j’habitais en Chine, mieux non… Et puis on ne pourrait plus travailler avec des artisans qui connaissent leur travail sur le bout des ongles. Des artisans avec lesquels j’ai tissé des relations de confiance et de compréhension mutuelle depuis des années. Des gens talentueux qui vont pouvoir réaliser un prototype après une conversation avec moi, juste avec leurs mains et une paire de ciseaux. En chine c’est impossible. Pour faire un prototype, il faut arriver avec des gabarits précis au millimètre pour calibrer des machines industrielles. Après, on est obligé de fabriquer les produits par dizaine de milliers pour rentabiliser l’investissement initial. Ce n’est ni notre but, ni notre envie. En fait, travailler à Madagascar nous permet d’être toujours en mouvement, toujours en création et de réaliser 15 à 20 prototypes par an. Nous pouvons proposer de nouveaux modèles, à un prix raisonnable pour de la création, grâce au talent de ces artisans Malgaches.


Il y a une centaine d’artisans qui travaillent avec nous et chacun d’eux en emploie d’autres. Il y a plus de trois cent personnes qui collectent et fabriquent pour Nat Mad. Cela créé des responsabilités. J’aimerais, par exemple, créer plus de produits en à base de tong que nous ramassons sur les plages. Non seulement pour aider à dépolluer Madagascar des milliers de tongs qui échouent sur ses côtes chaque années, mais aussi pour donner du travail aux villages défavorisés du sud de l’île. Il y a des modèles de sacs que je continue de produire pour faire travailler les artisans qui n’ont pas de machines. Certains n’ont pas d’électricité : en brousse il n’y a pas forcément le confort moderne…


Pour moi le commerce équitable, ce n’est pas uniquement de payer correctement les gens. C’est de transformer des relations de travail en des aventures humaines positives. C’est de voir, au fil des ans, les artisans évoluer grâce à l’argent qu’ils gagnent. Regarder leur famille s’agrandir, leur nouvelle maison se construire et leurs enfants aller à l’école. A Madagascar scolariser ses enfants est très cher pour la plus part des gens… Il y aussi un autre point important pour moi : accepter que les artisans travaillent d’une manière et à un rythme qui leur conviennent. Finalement, pas besoin de concept compliqué pour expliquer le commerce équitable, il suffit de savoir si les gens qui collaborent à l’entreprise s’épanouissent ou non. Si tout le monde s’épanouie et que les produit sont beaux, c’est non seulement équitable mais très satisfaisant…


